ANDRÉ DAVID :
MUSIQUE DE CHAMBRE AVEC CLAVIER
Lionel Pons, Marseille [juin 2007, relu juin 2017]
Il est bien souvent des hasards dont on se dit qu’ils viennent rappeler durement l’ironie glaciale du réel. La disparition d’André David coïncidera donc malheureusement avec le compte rendu d’un CD remarquable qui lui est consacré, et qui apporte un témoignage vibrant sur la force d’une personnalité parmi les plus affirmées de l’actuelle école française.
Ce sont des pièces de musique de chambre avec clavier qui nous sont proposées ici, idéalement servies par un ensemble d’interprètes qui en soulignent le pouvoir de déclencheur d’émotions, qui est toujours celui de ce musicien trop méconnu. L’art d’André David n’a rien d’une séduisante démarche décorative. Il brille, au contraire, d’un éclat minéral : du granit, il a la solidité, l’aspect âpre et brut, mais également les reflets parfois changeants au soleil et cette capacité à se transformer insensiblement et constamment sous des aspects monolithiques. Les arêtes en sont nettes, les contours définis avec une clarté sans défaut. Quels que soient l’effectif ou le propos, la lisibilité de la démarche demeure totale. L’impulsion poétique reste le fondement du geste compositionnel, mais elle s’exerce dans le cadre d’un refus absolu de l’illustratif. André David n’est pas l’homme des complaisances, et c’est un art sans concession qu’il n’a cessé de proposer au public ; art que sa profonde sincérité rend non seulement attachant mais indispensable.
La pièce Décan (1986) est conçue pour piano à quatre mains, quatuor à cordes, contrebasse, flûte et percussions. Dans un esprit qui le relie insensiblement au Concerto pour deux pianos et percussions de Darius Milhaud, le compositeur établit un dialogue remarquablement dense, fait d’interrogations, de réponses et d’échanges qui sont autant de témoignages de sa haute maîtrise tant de la gestion formelle que des possibilités infinies offertes par la combinaison des timbres. Associant au plus profond abstraction architecturale et impact expressif, les trois mouvements de l’œuvre sont autant d’exemples de la richesse d’une personnalité secrète et complexe.
Héliades (1996) fait appel à une trompette, un saxophone en mi bémol, un piano et un groupe de percussions. Le piano y joue le rôle de médiateur expressif entre les vents, fréquemment sollicités dans l’aigu de la tessiture, et le foisonnement percussif. Le compositeur construit son propos comme un unique bloc, riche de mille changements d’éclairage, comme un camaïeu subtil, à la fois un et multiple.
Les Profils d’orgue (1999) exploitent les richesses sonores offertes par un ensemble de trois orgues, respectivement grand orgue, orgue de chœur et petit orgue. Le vaste chantier ainsi ouvert aurait pu donner lieu à une expérimentation abstraite, mais un tel cas de figure est impossible dans l’univers d’André David, où rien ne subsiste que de nécessaire sur le plan poétique. L’exploration des possibilités de résonance et des combinaisons de jeux se fait le relais d’une sensibilité artistique toujours en éveil, exigeante et généreuse.
Chaque interprète, de Geneviève Ibanez (piano) à Jean-Jacques Werner (à la tête de l’ensemble Léon Barzin) en passant par Marc Sieffert (saxophone) ou Jean Fessard (percussions), est habité par cette musique rare et comme distillée, et en communique avec ferveur l’urgence essentielle. Un CD dont la découverte s’impose, autant comme un témoignage que comme un hommage mérité, dont on aimerait qu’il ne reste pas isolé. □