Le 10 novembre 2007, le théâtre de Périgueux a accueilli la création de la
cantate Un fauteuil de glaise du compositeur Jean-Jacques Werner. La genèse de
l’oeuvre a une histoire qui vaut d’être racontée :
Lisant l’ouvrage Deux musiciens dans la Grande guerre, ("Deux musiciens dans la Grande guerre". Lucien Durosoir, Maurice Maréchal. Tallandier et Radio France, 2005.Lettres et carnets de guerre édités par Luc Durosoir. Préface de Jean-Pierre Guéno), Jean-Jacques Werner découvre les lettres du violoniste Lucien Durosoir, textes sincères, rudes, émouvants. Sa propre émotion induit le désir d’associer ces textes à la musique, sa musique. L’idée de la cantate est née, « tout naturellement ». Elle est la neuvième du compositeur. Le lien de Jean-Jacques Werner avec la parole écrite est un lien fort. Jusque dans ses musiques instrumentales il aime ces évocations littéraires riches d’interrogations, de poésie, souvent de spiritualité (« Mais délivre-nous du mal », pour la paix à Sarajevo, 1993, pour flûte, violon, violoncelle et clavecin ; Spiritual, pour violon et orgue, Printanières, pour piano). Cantates, mélodies, opéra, action chantée, sont autant de manières d’illustrer des textes aimés pour le sens ou la poésie de leur
message (Instants pour ne plus dire, cantate n° 2 ; L’Oiseau inaugural, cantate n° 3 ; Les contours du silence, cantate n° 8). Parmi les cantates pour formations diverses (soprano et orchestre, baryton et orchestre de chambre, mezzo soprano et orchestre de chambre), deux sollicitaient déjà la voix non chantée : la cantate n° 4, Archidoxe, pour voix parlée et ensemble instrumental (1977) et An das Licht, qui mêle deux langues : le français chanté et l’allemand parlé (1996-97). Cette association de la parole et d’un groupe réduit d’instruments produit un effet très différent du chant accompagné. La parole semble jaillir des profondeurs de la musique, se mêler à elle dans une atmosphère poétique très spéciale. Le texte, ou plutôt les textes de la cantate Un fauteuil de glaise sont donc des extraits de lettres écrites, pendant la guerre de 14-18, par un grand violoniste, devenu plus tard compositeur. Le musicien explique son attachement à ces textes, d’où sont extraites « les phrases particulièrement fortes et percutantes, qui retracent les épreuves, les souffrances – parfois, l’incrédulité de ce qui est – mais aussi la foi en l’homme et l’espoir que cette guerre sera la dernière ». La sélection des lettres, opérée par Jean- Marie Lelièvre, emprunte aux quatre années de la guerre, puisant dans le tragique comme dans quelques moments que l’on peut dire « heureux », moments de
découverte d’une rose parmi les ruines de Neuville, moments de musique partagée
avec d’autres artistes.
Cette oeuvre importante est conçue pour un ensemble de 13 instruments : 2 flûtes, 2 violons, trompette, 2 cors, harpe, percussion et pianos (4 mains). Le détail des percussions vaut d’être nommé, car ce groupe constitue un apport très original à l’atmosphère poétique et à la création de décors sonores mouvants : glockenspiel, xylophone, marimba, vibraphone, tam-tam, gong, crécelle, 4 cymbales, 4 toms, guiro,caisse claire, bâton de pluie, grosse caisse, triangle, star chimes, wood block. L’oeuvre commence « largo », dans une atmosphère recueillie créée par la mélopée des deux flûtes, soutenues par un léger instrumentarium. Peu après, le récitant commence sa déclamation libre. Sa voix chemine parmi les mélodies instrumentales,flûtes, violons, cor, trompette, qui semblent l’écouter et accompagner les péripéties deson récit. Un peu plus loin, en l’entend dire le fragment qui a donné son titre à l’oeuvre : « Moi, j’ai un fauteuil sculpté dans la glaise très confortable ! » C’est bien là une phrase qu’écrit un fils à sa mère, pour dédramatiser la guerre…Les instruments (harpe, flûte, trompette) ne se laissent pas abuser par ce ton désinvolte et poursuivent leurs commentaires graves et expressifs. Parfois cependant, ils s’enflamment et protestent, eux aussi, contre cette presse de l’arrière qui décrit de façon abusive et mensongère la bonne nourriture et la viande fraîche distribuées journellement aux combattants ! Ailleurs, ils participent à la souffrance du narrateur, commentant la stridence des obus ou le silence oppressant de la nuit, repère de tous les dangers. La tentative de description, amorcée ici, risquerait, si elle était poussée plus avant, de dénaturer le vrai sens de l’oeuvre musicale. Même si la composition se structure autour des textes, épousant le rythme et les contours des fragments qui séquencent la narration, ce serait une erreur de la réduire à une « illustration » du texte. La musique se situe dans un ailleurs bien plus difficile à appréhender et son identité échappe à la description des liens qu’elle entretient avec le texte. La composition, au contraire, affirme partout son autonomie d’oeuvre musicale. Les mélodies démultipliées dans les paraphrases et les transformations, les regroupements de timbres choisis, les échanges mélodiques, les touches de couleurs instrumentales, les ruptures et les fluidités, les grands tutti et les espaces presque intimes, tout cela a un sens propre, une raison d’être qui ne saurait être ramenée à une fonction utilitaire. On se contentera de souligner la finesse de l’écriture thématique et instrumentale. Les brèves touches de couleur, l’extrême subtilité des interventions des percussions, la permanence de figures comme les temps syncopés, facteurs d’allègement de la phrase et le perpétuel renouveau qui habite l’invention. Rien de tout cela, le public du 10 novembre à Périgueux n’a pas pu le percevoir ; cependant, le temps de l’oeuvre lui a paru bref, arrimé qu’il était au message littéraire et musical, tendu en permanence, porté par les multiples changements du tempo, de l’orchestration, du message musical, passionné, en somme, par le déroulement de l’oeuvre. Que serait un compositeur sans ses interprètes ? Jean-Marie Lelièvre et sa classe de musique de chambre avaient donné, en première partie du concert, plusieurs oeuvres brèves de Jean-Jacques Werner. La cantate était interprétée par l’ensemble instrumental du Conservatoire, placée sous la direction de Dominique Saby. Ces artistes ont eu le mérite, en même temps que l’honneur, de créer l’oeuvre. Pour la lecture des textes, Jean-Marie Lelièvre avait revêtu une vareuse de « poilu »,aimablement prêtée par le musée de Périgueux. Il a montré que le musicien se doublait chez lui d’un excellent récitant dont la voix, toujours naturelle, et la diction convaincante surent énoncer les textes avec clarté, intelligence et émotion. Un fauteuil de glaise, cantate n° 9 de Jean-Jacques Werner, devrait maintenant poursuivre sa carrière sur d’autres scènes, avec d’autres acteurs, pour d’autres publics. C’est le défi difficile à relever de la pérennité des oeuvres musicales, dans le monde d’aujourd’hui où la diffusion d’une oeuvre est plus tributaire de facteurs sociaux et économiques que de sa valeur intrinsèque.
cantate Un fauteuil de glaise du compositeur Jean-Jacques Werner. La genèse de
l’oeuvre a une histoire qui vaut d’être racontée :
Lisant l’ouvrage Deux musiciens dans la Grande guerre, ("Deux musiciens dans la Grande guerre". Lucien Durosoir, Maurice Maréchal. Tallandier et Radio France, 2005.Lettres et carnets de guerre édités par Luc Durosoir. Préface de Jean-Pierre Guéno), Jean-Jacques Werner découvre les lettres du violoniste Lucien Durosoir, textes sincères, rudes, émouvants. Sa propre émotion induit le désir d’associer ces textes à la musique, sa musique. L’idée de la cantate est née, « tout naturellement ». Elle est la neuvième du compositeur. Le lien de Jean-Jacques Werner avec la parole écrite est un lien fort. Jusque dans ses musiques instrumentales il aime ces évocations littéraires riches d’interrogations, de poésie, souvent de spiritualité (« Mais délivre-nous du mal », pour la paix à Sarajevo, 1993, pour flûte, violon, violoncelle et clavecin ; Spiritual, pour violon et orgue, Printanières, pour piano). Cantates, mélodies, opéra, action chantée, sont autant de manières d’illustrer des textes aimés pour le sens ou la poésie de leur
message (Instants pour ne plus dire, cantate n° 2 ; L’Oiseau inaugural, cantate n° 3 ; Les contours du silence, cantate n° 8). Parmi les cantates pour formations diverses (soprano et orchestre, baryton et orchestre de chambre, mezzo soprano et orchestre de chambre), deux sollicitaient déjà la voix non chantée : la cantate n° 4, Archidoxe, pour voix parlée et ensemble instrumental (1977) et An das Licht, qui mêle deux langues : le français chanté et l’allemand parlé (1996-97). Cette association de la parole et d’un groupe réduit d’instruments produit un effet très différent du chant accompagné. La parole semble jaillir des profondeurs de la musique, se mêler à elle dans une atmosphère poétique très spéciale. Le texte, ou plutôt les textes de la cantate Un fauteuil de glaise sont donc des extraits de lettres écrites, pendant la guerre de 14-18, par un grand violoniste, devenu plus tard compositeur. Le musicien explique son attachement à ces textes, d’où sont extraites « les phrases particulièrement fortes et percutantes, qui retracent les épreuves, les souffrances – parfois, l’incrédulité de ce qui est – mais aussi la foi en l’homme et l’espoir que cette guerre sera la dernière ». La sélection des lettres, opérée par Jean- Marie Lelièvre, emprunte aux quatre années de la guerre, puisant dans le tragique comme dans quelques moments que l’on peut dire « heureux », moments de
découverte d’une rose parmi les ruines de Neuville, moments de musique partagée
avec d’autres artistes.
Cette oeuvre importante est conçue pour un ensemble de 13 instruments : 2 flûtes, 2 violons, trompette, 2 cors, harpe, percussion et pianos (4 mains). Le détail des percussions vaut d’être nommé, car ce groupe constitue un apport très original à l’atmosphère poétique et à la création de décors sonores mouvants : glockenspiel, xylophone, marimba, vibraphone, tam-tam, gong, crécelle, 4 cymbales, 4 toms, guiro,caisse claire, bâton de pluie, grosse caisse, triangle, star chimes, wood block. L’oeuvre commence « largo », dans une atmosphère recueillie créée par la mélopée des deux flûtes, soutenues par un léger instrumentarium. Peu après, le récitant commence sa déclamation libre. Sa voix chemine parmi les mélodies instrumentales,flûtes, violons, cor, trompette, qui semblent l’écouter et accompagner les péripéties deson récit. Un peu plus loin, en l’entend dire le fragment qui a donné son titre à l’oeuvre : « Moi, j’ai un fauteuil sculpté dans la glaise très confortable ! » C’est bien là une phrase qu’écrit un fils à sa mère, pour dédramatiser la guerre…Les instruments (harpe, flûte, trompette) ne se laissent pas abuser par ce ton désinvolte et poursuivent leurs commentaires graves et expressifs. Parfois cependant, ils s’enflamment et protestent, eux aussi, contre cette presse de l’arrière qui décrit de façon abusive et mensongère la bonne nourriture et la viande fraîche distribuées journellement aux combattants ! Ailleurs, ils participent à la souffrance du narrateur, commentant la stridence des obus ou le silence oppressant de la nuit, repère de tous les dangers. La tentative de description, amorcée ici, risquerait, si elle était poussée plus avant, de dénaturer le vrai sens de l’oeuvre musicale. Même si la composition se structure autour des textes, épousant le rythme et les contours des fragments qui séquencent la narration, ce serait une erreur de la réduire à une « illustration » du texte. La musique se situe dans un ailleurs bien plus difficile à appréhender et son identité échappe à la description des liens qu’elle entretient avec le texte. La composition, au contraire, affirme partout son autonomie d’oeuvre musicale. Les mélodies démultipliées dans les paraphrases et les transformations, les regroupements de timbres choisis, les échanges mélodiques, les touches de couleurs instrumentales, les ruptures et les fluidités, les grands tutti et les espaces presque intimes, tout cela a un sens propre, une raison d’être qui ne saurait être ramenée à une fonction utilitaire. On se contentera de souligner la finesse de l’écriture thématique et instrumentale. Les brèves touches de couleur, l’extrême subtilité des interventions des percussions, la permanence de figures comme les temps syncopés, facteurs d’allègement de la phrase et le perpétuel renouveau qui habite l’invention. Rien de tout cela, le public du 10 novembre à Périgueux n’a pas pu le percevoir ; cependant, le temps de l’oeuvre lui a paru bref, arrimé qu’il était au message littéraire et musical, tendu en permanence, porté par les multiples changements du tempo, de l’orchestration, du message musical, passionné, en somme, par le déroulement de l’oeuvre. Que serait un compositeur sans ses interprètes ? Jean-Marie Lelièvre et sa classe de musique de chambre avaient donné, en première partie du concert, plusieurs oeuvres brèves de Jean-Jacques Werner. La cantate était interprétée par l’ensemble instrumental du Conservatoire, placée sous la direction de Dominique Saby. Ces artistes ont eu le mérite, en même temps que l’honneur, de créer l’oeuvre. Pour la lecture des textes, Jean-Marie Lelièvre avait revêtu une vareuse de « poilu »,aimablement prêtée par le musée de Périgueux. Il a montré que le musicien se doublait chez lui d’un excellent récitant dont la voix, toujours naturelle, et la diction convaincante surent énoncer les textes avec clarté, intelligence et émotion. Un fauteuil de glaise, cantate n° 9 de Jean-Jacques Werner, devrait maintenant poursuivre sa carrière sur d’autres scènes, avec d’autres acteurs, pour d’autres publics. C’est le défi difficile à relever de la pérennité des oeuvres musicales, dans le monde d’aujourd’hui où la diffusion d’une oeuvre est plus tributaire de facteurs sociaux et économiques que de sa valeur intrinsèque.
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